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Port autonome de Rouen . Photo Jack Guerrier 2019

José avait faim. Il tournait dans la cuisine, scrutait chaque ustensile : fouet, écumoire, louche, cul de poule, poêle à frire, couteau à viande, casseroles ... Il s’arrêta devant le réfrigérateur. Ne pas l’ouvrir. Dans un pot quelques oignons échalotes, aulx étaient blottis. Persil dans un verre. Farine, riz, pâtes, chapelure, aromates divers, thym, laurier, curcuma, tandoori, clous de girofle, quatre épices, cumin, baies de genièvre, muscade, ciboulette, Ras El Hanout, coriandre, piments de Cayenne, Colombo. Un voyage. A cinquante ans, c’est le moins pour un bon paysage. José avait pris un bon petit déjeuner le matin tôt. Larges tartines chargées de lamelles de Salers qui évoquaient la place où chaque midi il sirotait sa gentiane face à la montagne, dans les pierres grises. Il avait coupé à l’aide de son couteau montagnard quelques rondelles de longe séchée rouge sombre. Il les goûtait, comme des bonbons, ceux de sa jeunesse pailletés au caramel, anglais. José saisit « La cuisine et la pâtisserie française » d’Alfred Guérot édition Flammarion 1953. Le bouquin pesait 1300 grammes exactement. 1 kilo 300 gr de recettes classées dans la table alphabétique depuis les : - Abatis de dinde aux navets - . Page 513. Jusqu’aux : - Zéphirs antillais - . Page 880. Comme chaque jour, José allait devoir choisir. Simple procédé. Il posait le livre sur le plan de travail, fermait les yeux, ouvrait l’ouvrage. Il laissait au hasard toute sa chance. Le principe, exécuter la recette tirée au sort et en faire son repas. Vue l’heure, ce serait celui du soir, au mieux de l’après-midi. Qu’allait-il manger aujourd’hui ? Le livre était posé bien à plat.

José ferma les yeux. Il promena ses deux mains sur la couverture de moleskine. Il sentit au bout des doigts les lettres en creux du titre de l’ouvrage. Il l’ouvrit lentement en songeant à la suavité du thé qu’il avait bu vingt minutes plus tôt. Un thé Grand Yunnan Impérial accompagné d’amandes grillées par ses soins. Il suçota un fragment collé entre une incisive et une prémolaire, prolongeant le souvenir. Entre les deux pouces s’alanguissait le mystère. Le livre était ouvert. Il avait le choix entre deux pages, celle de gauche, celle de droite. Laquelle choisir ? José songeait aux jours lointains où il n’avait pas ce choix. Aux années de dèches. Il songeait à Orwell, à son fameux bouquin : Dans la dèche à Paris et à Londres. Lui c’était plutôt à Nancy et à Metz. Ni chicken ni kitchen, des pâtes. Des jours insouciants , entre les amours, la poésie, la peinture, les voyages immobiles. Comme maintenant en fait, sauf que maintenant José avait le choix de ne pas choisir. Une petite coupure à l’index gauche, déterminante. Poularde truffée rôtie. José lu la recette. Il fallait trouver une poularde de 1 kilo 800 ; 500 grammes de panne très fraîche; 125 grammes de foie gras cru ; 550 grammes de truffes ; 20 grammes de sel fin ; 3 grains de poivre ; 2 grammes d’épices; un verre à liqueur de cognac ; un verre à liqueur de Madère ; 2 cuillère à potage d’huile; une brindille de thym, 1\2 feuille de laurier ; 2 barbes de lard frais ; une cinquantaine de marrons. La préparation devait se faire 3 jours auparavant. José referma le livre. Il salivait sur les 3 côtes d’agneau qui grésillaient gaiement dans la poêle sur le feu de la gazinière, répandant leur odeur de romarin frais dans la petite cuisine.

 

©Jack Guerrier

Tag(s) : #Rouen, #Photo, #fiction, #mini récit, #Alfred Guérot, #cuisine, #Georges Orwell

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