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Photo Jack Guerrier 2019
Chloé.
Elle trottinait les jambes bien droites dans sa jupe fleurie, tel un chat-qu’on-appelle-et-qui-se-sauve. Chloé aimait Paul, d’un amour spontané. Quand ils étaient dans la même pièce, qu’il était assis dans le fauteuil de cuir fauve, elle venait à petits pas rapides se blottir la tête sur ses genoux, les yeux clairs grands ouverts. Paul ne bougeait pas, au moindre mouvement elle levait la tête, comme effrayée, fuyait rapidement loin de Paul. Elle partait s’occuper dans la cuisine ou dans la salle de bain. Déplaçant le vase en porcelaine de Saxe hérité de sa grand-mère maternelle, elle arrangeait les dahlias orangé, ôtant ça et là les corolles fanées. Chloé appelait Paul : Paul ! Paul ! Viens voir comme c’est beau toutes ces couleurs d’automne, tu ne regardes jamais attentivement ce qui t’entoure. Viens goûter le gratin dauphinois, j’ai peur qu’il ne soit pas assez cuit. Paul levait la tête et souriait en regardant Chloé : Oui ma chérie, c’est très bien. Chloé poussait des soupirs de contentement. C’est bien Paul, tu m ‘écoutes. Elle changeait de pièce comme une danseuse dont on ne verrait pas les jambes bouger, effleurant de l’index un meuble en passant. Paul l’imaginait une chaise entre les bras, virevoltant comme un papillon. Chloé s’arrêtait parfois, complètement immobile, suspendue. J’aimerai être toute la peinture de la terre, tu sais Paul, toutes les épaisseurs, les fondus, les cernes, les pigments, les résines, les cires, les vernis, les outremers, m’en repaître jusqu’à la mort. Paul penchait la tête du côté gauche : oui ma chérie, c’est beau ce que tu dis, mais c’est impossible. Personne ne peut être la peinture ou la musique ou de la farine ou toutes les voitures. Chloé tournait rapidement sur place, dans un sens puis un autre, sur elle-même : Paul ! Vraiment, tu n’es pas et ne sera jamais un poète !
©Jack Guerrier